Reportage au Sahara occidental, le pays qui n’existe (toujours) pas

Accueillis dans des conditions précaires sur le territoire algérien, des dizaines de milliers de réfugiés attendent toujours de pouvoir revenir sur le territoire du Sahara occidental qu'ils ont fui en 1975. (Photo : Thierry Nectoux)


Dans le désert du sud-ouest algérien, non loin des frontières avec le Maroc et la Mauritanie, des dizaines de milliers de réfugiés vivent dans des camps depuis bientôt cinquante ans. Exilés d'un territoire, le Sahara occidental, qu'ils considèrent comme le leur, ils attendaient, pacifiquement que l'ONU règle leur sort. Jusqu'à ce jour de novembre 2020 où la guerre a repris entre l'Armée populaire de libération sahraouie et le Maroc...

Le jeune homme stoppe sa 405 Peugeot dans un nuage de poussière devant la grille du ministère de la Culture. L’allure décidée, il ne s’embarrasse pas du protocole. « Je tente ma chance », déclare Abdelbari Mustafa avant de pénétrer sans autre formalité dans le bâtiment officiel. « Je vais demander une entrevue au ministre. »

Le ministre est là : entrevue accordée. « Dans quel autre pays, peut-on se promener avec autant de liberté et rencontrer un ministre sans rendez-vous ? », interroge Moussa Salma Larid nommé à la suite du dernier congrès du Front Polisario, début 2023. Vêtu d’un treillis de combat, le vétéran de la guerre de libération nationale considère la culture comme « une arme ». Une des armes par lesquelles son pays, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), défend son droit d’exister depuis bientôt cinquante ans.

Repoussés dans le désert par la marche verte marocaine de 1975, de nombreux habitants du Sahara occidental vivent désormais en exil, dépendant de l'aide internationale. (Photo : Thierry Nectoux)

Pour l’instant, comme près de 180 000 de ses concitoyens, il vit en plein désert, dans un des six camps de réfugiés situés près de la ville de Tindouf dans le sud-ouest de l’Algérie. Des camps qui, à l’exception de Rabouni où nous l’avons rencontré, portent les noms de villes situées plus à l’Ouest dans les territoires annexés par le Maroc en 1975 : Layoun, Ausserd, Smara, Boujdour et Dakhla.

Rapprocher les jeunes du Sahel et du Maghreb

Confortablement installé dans le salon à l’occidentale qui jouxte son bureau, sous le portrait du président Brahim Ghali réélu un mois plus tôt pour un deuxième mandat, le ministre ne croit pas que la lutte armée amènera une solution. « Nous avons été en guerre contre le Maroc pendant seize ans, de 1975 à 1991, rappelle-t-il. Sans résultat positif. »

Depuis novembre 2020, les combats ont repris de part et d'autre du mur de sable érigé et militarisé par le Maroc à travers 2 500 kilomètres de désert. (Photo : Thierry Nectoux)

Alors, même si les hostilités ont repris en novembre 2020 après trente ans de cessez-le-feu, le musicien et chanteur converti à la politique mise plutôt sur des moyens pacifiques pour faire face « à l’intransigeance » de Mohamed VI, roi du Maroc.

« Nous voulons organiser un grand échange culturel entre jeunes des pays du Sahel et du Maghreb », explique-t-il rappelant au passage que son ministère, comme toutes les institutions sahraouies, n’a aucun budget et ne peut engager que des actions financées par l’aide internationale.

Premier étudiant sahraoui à Sciences Po

À cette rencontre, espère-t-il, pourraient participer des Sahraouis vivant dans « les territoires occupés » - que Rabat désigne comme ses « provinces du sud » ou Sahara marocain – ainsi que des jeunes Marocains.

« Car la situation n’est pas seulement insupportable pour les Sahraouis opprimés, ajoute-t-il. Elle brouille toutes les relations diplomatiques et économiques dans la région et au sein de l’Union africaine. »

Abdelbari Mustafa dans sa famille à Boujdour, sous la tente traditionnelle. (Photo : Thierry Nectoux)

Une analyse partagée par Abdelbari Mustafa. Le jeune homme fut, en 2020, le premier étudiant sahraoui à pousser les portes de Sciences Po, la prestigieuse école de sciences politiques à Paris. Son master obtenu, le réfugié né dans le camp de Boujdour veut maintenant entamer un doctorat. Sur quel thème ? « Je ne sais pas encore, sans doute quelque chose en lien avec la situation du Sahara occidental ou avec les droits de l’homme. »

Indispensable aide internationale

Reprenant sa voiture pour slalomer sur quelques centaines de mètres entre les grandes flaques d’eau boueuse laissées par les pluies violentes de la nuit, Abdelbari raconte que Rabouni a toujours été un de ces points d’eau sur lesquels les nomades peuvent compter. « Il y avait même un réservoir avec un robinet. D’où le nom de Rabouni. »

Quelques dromadaires rappellent aux réfugiés leur culture et leurs traditions de nomades. (Photo : Thierry Nectoux)

Aujourd’hui, la halte des chameliers est devenue une petite ville, siège des institutions et des services administratifs et techniques de la république en exil. C’est aussi le point d’ancrage local du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés, l’UNHCR, qui assure, avec l’aide de la Croix-Rouge et du Programme alimentaire mondial, la subsistance des réfugiés.

Pour l’instant, alors que le soleil commence à réchauffer l’air frais matinal, le futur doctorant a rendez-vous avec un de ses pères et mentors, Omar Lahsen Abdeslam, président de l’Association des familles de prisonniers politiques et disparus sahraouis – Afapredesa en abrégé dans la langue castillane qui a bercé les Sahraouis sous la colonisation espagnole et reste, aujourd’hui encore, utilisée par nombre d’entre eux.

Des dizaines de disparitions

« J’ai dû fuir les territoires occupés en 1991 », explique le fondateur de l’association qui s'efforce de retrouver les traces des personnes disparues au cours des années de conflit. « Je suis, en effet, recherché par le Maroc pour avoir transmis des informations à des journalistes étrangers. »

Désormais en exil, son association a, malgré tout, réalisé un travail considérable : sur quelque 4 500 disparitions, seuls 445 sont encore non élucidées. « Il nous reste à investiguer une vingtaine de fosses communes », explique le militant. Des recherches qui devront attendre car la plupart de ces sépultures sommaires se trouvent de l’autre côté du mur de sable, miné et militarisé, qui sépare le Sahara « occupé » des « territoires libérés ».

Le président de la République et secrétaire général du Front Polisario, Brahim Ghali, a été réélu début 2023. (Photo : Thierry Nectoux)

Pour autant, le travail ne manque pas. « Le dernier cas de disparition d’un Sahraoui remonte au 7 février 2022 à Dakhla », déplore Omar Abdeslam qui s’intéresse aussi aux « dizaines de disparitions de migrants » dans cette zone dont les observateurs extérieurs sont bannis.

Une nouvelle génération prend la relève

Désespérée par l’inaction de l’ONU et de ses agences, l’Afapredesa enquête au mieux sur toutes les formes de violation des droits de l’homme et soutient les cinquante-neuf Sahraouis qu’elle considère comme des détenus politiques dans des prisons marocaines.

Le 27 février, fête nationale, est le jour anniversaire de la République arabe sahraouie démocratique. (Photo : Thierry Nectoux) 

« Le changement ne pourra venir que de la pression de la communauté internationale »,
estime son président. Dans la salle de réunion spartiate qui lui sert à la fois de bureau, de salle de conférences et de lieu d’exposition, il note toutefois des évolutions encourageantes, « aussi bien du côté européen depuis le MarocGate, que du côté de l’Union africaine » dont le royaume et la RASD sont tous deux membres.

« Quant à l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Stafan de Mistura, il devrait reconnaître, comme ses prédécesseurs, que sa feuille de route de conciliation c’est : mission impossible. »

En cinquante ans, de nombreux jeunes Sahraouis ont accédé aux études supérieures et aspirent à contribuer à la destinée de leur peuple. (Photo : Thierry Nectoux)

Pour poursuivre le travail, Omar Abdeslam compte plutôt sur la génération suivante des militants sahraouis. Il peut se rassurer : celle-ci, avec Abdelbari Mustafa et bien d’autres, est dans les starting-blocks.

Apprendre et voyager quand on est réfugié 

Mohamed Fadel est né, il y a soixante ans à Dakhla, dans ce qui était alors le Sahara espagnol. En 1975, enfant, il fuit avec sa famille ce territoire désertique tout juste abandonné par Madrid mais aussitôt annexé par la Mauritanie et Maroc.

Comme des dizaines de milliers de réfugiés, il s’installe en Algérie dans des camps « provisoires » au milieu des sables où près de 180 000 Sahraouis vivent encore aujourd’hui, non loin de la ville de Tindouf.

Car ces nomades, attachés à « leur territoire », n’ont toujours pas obtenu le referendum d’autodétermination promis en 1963 par une résolution de l’ONU. Et ce, malgré la mise en place, en 1991, de la Mission des Nations unies pour un référendum au Sahara occidental (Minurso) chargée d’organiser le processus de décolonisation.

Passeport espagnol ?

Pour autant, plusieurs événements récents laissent espérer une évolution. « Le parlement espagnol vient a voté, début 2023, une loi autorisant la naturalisation de tous les Sahraouis nés avant 1975 », se félicite le journaliste. Il pourrait en profiter si le texte arrive au bout de son parcours législatif à Madrid.

Pause le long de la route qui relie la ville algérienne de Tindouf aux camps de réfugiés. (Photo : Thierry Nectoux)

Employé par l’agence de presse de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), créée en 1976 par le mouvement indépendantiste Frente Polisario (Front populaire de libération de la Saguia et du Rio de Oro), il possède déjà un passeport sahraoui et un passeport algérien.

C’est ce dernier qui lui permet, comme à tous les Sahraouis vivant dans les camps, de voyager vers des pays, encore nombreux, qui ne reconnaissent pas sa république. « Avec un passeport espagnol, ce sera beaucoup plus facile », espère le militant qui n’envisage toutefois pas d’en profiter pour s’installer en Europe.

La maîtrise du français est nécessaire

C’est pourtant cette crainte qui risque de faire achopper la démarche engagée en Espagne par le parti de gauche Podemos : en naturalisant tous les Sahraouis recensés avant 1975, la loi espagnole en fera des Européens, ainsi que leurs enfants.

L’Union est-elle prête à reconnaître ainsi, implicitement, son rôle historique dans la situation du Sahara occidental ? Peut-elle se permettre de déplaire à son partenaire privilégié, le Maroc, qui en revendique la souveraineté totale ?

Près de 70 % de la population des camps de réfugiés sahraouis a moins de 25 ans. (Photo : Thierry Nectoux)

En attendant, la petite Nana, 3 ans, qui joue dans le sable autour de la maison familiale, rejoindra bientôt l’école maternelle voisine. Dans ces camps isolés, où 70 % de la population a moins de 25 ans, « l’éducation et la santé sont des priorités », rappelle Mohamed Mahmoud, directeur de l’Aspecf, une association locale qui œuvre pour la promotion de la langue française. « La maîtrise du français est nécessaire pour celles et ceux qui voudront rejoindre un lycée dans une ville algérienne », explique-t-il.

Dans les camps, les enfants peuvent suivre une scolarité normale en arabe jusqu’à la fin du collège. Ils apprennent aussi l’espagnol, la langue de l’ancien colonisateur, dès l’école primaire, puis l’anglais au collège. En plus de leur langue maternelle, le hassanya. Un bagage suffisant pour vivre et voyager dans le monde en commençant par l’université souvent choisie en Espagne, voire en Amérique latine.

Stéphane GALLOIS & Thierry NECTOUX.

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